Tout est dans le (niveau de) détail

Imaginez que vous volez en montgolfière. Vous êtes à une altitude de 2000 mètres, un paysage immense s’étale sous vos yeux. En bas, vous apercevez de petites formes géométriques ainsi que de longues lignes correspondant à des champs et des routes. Puis vous descendez à 1000 mètres, et vous vous rendez compte que les routes ont aussi une largeur, et que des « points » se déplacent lentement dessus.

Vous descendez encore, maintenant à une altitute de 300 mètres, vous êtes juste au-dessus d’un carrefour, vous pouvez maintenant apercevoir les 2 voies de chaque routes, et puis la bande blanche des stops. Les points sont devenus des voitures distinctes, qui s’arrêtent pour se céder le passage.

Vues aériennes en montgolfière

Vues aériennes en montgolfière

A 50 mètres du sol, vous apercevez même par le toit vitré les deux occupants d’une de ces voitures. Vous avez cependant perdu la vue d’ensemble que vous aviez lorsque la montgolfière était plus haute.
Cette expérience illustre fidèlement le concept de Niveaux de détails (Levels of Detail en anglais, dont l’acronyme LoD est souvent utilisé), l’un des concepts fondamentaux des maquettes numériques de ville.

Les LoD sont utilisés pour définir les différentes représentations d’un objet du monde réel. Ils sont une sorte de curseur entre vue d’ensemble et focus détaillé.
Dans les quartiers existants, les LoD permettent d’adapter le modèle numérique à la disponibilité et résolution des données collectées. Il est par exemple impossible de modéliser la forme du toit d’un bâtiment si seul ses données cadastrales sont connues. Plusieurs LoDs peuvent coexister dans un même modèle numérique de ville, afin de représenter différents bâtiments modélisés avec diverses résolutions.
Le concept de LoD est aussi très utile pour les nouveaux projets urbains. Dans ce cas, l’altitude correspond aux différentes phases du développement du projet : cela commence avec un plan de masse du cabinet d’urbanistes définissant l’emprise au sol et des hauteurs moyennes des bâtiments), puis vient le conceptual design fixant la forme des bâtiments, et enfin le detailled design spécificant les différents éléments architecturaux et techniques ainsi que le plan intérieur.

Bâtiment 2 de HFT Stuttgart représenté en 4 niveaux de détail CityGML

Bâtiment 2 de HFT Stuttgart représenté en 4 niveaux de détail CityGML

Les Niveaux de détail sont utilisés et définis dans de nombreux standard de modélisation du bâtiment (IFC) et de la ville (Blom3D, Navtek), en fonction de diverses facteurs (géométrie, sémantique, texture, type d’objets). Dans l’open standard CityGML de maquette numérique urbaine, les Niveaux de détail sont au nombre de 5 (LoD0 au LoD4), définis principalement par la complexité de leur géométrie (détail du toit, des ouvertures, de l’intérieur) :

  • LoD0 inclus le terrain et l’emprise au sol des bâtiments (souvent appelé modèle 2,5 D)
  • LoD1 modélise les bâtiments comme des boites à carton, conséquence de l’extrusion de leur surface sur sol jusqu’à leur hauteur moyenne
  • LoD2 ajoute la structure du toit
  • LoD3 détaille la position des ouvertures (fenêtres et portes) sur les facades et toits et les éventuels éléments structurels et architecturaux extérieurs (balcon, pré-toit)
  • LoD4 introduit enfin la modélisation de l’intérieur du bâtiment (équivalent au BIM)

La texture des objets urbains est indépendante du LoD dans CityGML, même si elle prend son sens à partir du LoD2.

Le freeware Random3DCity dévelopé à Delft (Pays-bas) par mon ami croate Filip Biljecki permet de générer automatiquement des modèles de ville synthétiques mélant ces différents LoD en fonction de diffèrents critères (densité de construction etc.).

Software Random3Dcity, mêlant LoD1 à LoD3 - source - TU Delft

Software Random3Dcity, mêlant LoD1 à LoD3 – source – TU Delft

Il est intéressant de considérer ces Niveaux de détail en fonction de leur finalité, c’est-à-dire de leur potentiel d’application pour différentes analyses urbaines.

Une maquette numérique de ville LoD1 sera ainsi largement suffisant pour une cartographie des nuisances sonores, quand un LoD2, qui modélise la forme réelle des toits, sera nécessaire pour une étude du potentiel solaire et photovoltaïque. Des applications nécessitant la configuration intérieure des bâtiments (étude d’éclairage naturel, navigation intérieur etc.) feront eux appellent à un LoD4. Pour la modélisation des besoins de chaleur d’un bâtiment, un LoD1 offrira les informations minimales, cependant le choix d’un LoD supérieur (LoD2, voire LoD3 ou LoD4 pour une modélisation multi-zone) aura un impact sur la précision des résultats, affinant en particulier le calcul des gains solaires, le volume à chauffer et de la distribution des transferts thermiques. Ce gain de précision a été quantifié à 7% pour la ville Allemande de Ludwigsburg, avec des bâtiments singuliers où l’écart atteignait plus de 30% (Nouvel, 2016). A noter que la qualité des données de simulation, et donc la précision des résultats, ne dépend pas que du LoD, mais aussi de la qualité des données sémantiques.

La cohérence de ces Niveaux de détail a été remise en question ces dernières années. En effet, il est théoriquement possible par exemple de modéliser une bâtiment en LoD2 via 12 représentations différentes (Benner, 2013)! Ce concept emprunté à l’infographie a encore besoin de clarification, formalisation et d’amélioration pour les maquettes numériques 3d de ville. Dans son excellent mémoire de thèse, Filip Bilkecki a réalisé un état des lieux, et proposé de nouvelles formalisations de LoDs, basés sur une combinaison plus cohérentes de niveau de détail géométriques et topologiques.

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