Maquettes numériques de ville CityGML pour la transition énergétique

Les Maquettes numériques de ville permettent d’échanger, de visualiser et d’analyser les données spatio-sémantiques urbaines, de l’échelle du matériau à celui du territoire. Multidomaines, elles sont utilisées pour des applications diverses : modélisation des nuisances acoustiques, simulation d’inondations, études comportementales et sociodémographiques, épidémiologie énergétique…
Là où les « Building Information Models » (BIM) s’arrêtent au bout du jardin, les maquettes numériques de ville permettent de prendre en compte les phénomènes d’interactions urbaines, tels que les îlots de chaleur urbains ou encore la mutualisation des demandes et productions énergétiques des bâtiments.

Diagnostic des besoins de chaleur et identification des priorités de rénovation de 3D.

Diagnostic des besoins de chaleur et identification des priorités de rénovation de 3D.

Les urbanistes, les municipalités et les fournisseurs d’énergie disposent ainsi d’informations pour décider et coordonner les meilleures stratégies de transition énergétique, combinant faibles émissions CO2 et investissements rentables.
Instruments de diagnostic complet, ces maquettes numériques permettent d’identifier les priorités de rénovation bâtiment par bâtiment et de prédire leur potentiel d’économies d’énergie. Des stratégies énergétiques – plan Climat-énergie territorial – peuvent être ainsi planifiées à l’échelle de la ville, combinant une réduction de la demande énergétique et l’utilisation optimale du potentiel d’énergies renouvelables.

Un des principaux challenges de ces maquettes numériques est la collection et le partage des données. La disponibilité et la qualité de ces données impactent directement la fiabilité de l’analyse énergétique. Alors que les géométries 3D urbaines peuvent être générées automatiquement et précisément à l’aide de technologies laser ou photogrammétrique, la collection d’informations sémantiques liées aux bâtiments et à leurs utilisations est plus complexe et laborieuse. Elle demande de croiser de nombreuses sources d’information et d’utiliser des méthodes d’acquisition de données plus ou moins automatiques.
Il est primordial d’avoir une maquette numérique unique, ouverte, multidomaine et multi «  niveau de détail », qui puisse servir de plateforme d’échange de données entre les différents acteurs urbains.
Le standard CityGML répond à ces critères. C’est une référence internationale, déjà utilisé pour modéliser des agglomérations en France (Lyon, Rennes) et en Europe (Londres, Stuttgart).

Version originale de l’article :Revue du Centraliens, jan. 2015.

Estimation des besoins thermiques urbains

Alliant données spatiales et sémantiques, les maquettes numériques de ville offrent un excellent support au calcul des besoins de chauffage et de froid des bâtiments à l'échelle urbaine, donnant une estimation par bâtiment bien plus fiable et réaliste que la méthode traditionnelle basée sur les cartes 2D-SIG.

Besoins spécifiques de chaleur dans un quartier de Ludwigburg - source : HfT Stuttgart

Ils permettent en particulier de calculer individuellement les orientation des facades et volumes de chaque bâtiment, informations essentielles pour la modélisation thermique des bâtiments. Les données collectées sur la construction des fassades, toit et fenêtre, ainsi que sur l'usage du bâtiment peuvent y être stockées, via le modèle d'information urbain CityGML Energy ADE. Les données manquantes sont quant à elle généralement estimées en fonction du type et de l'âge du bâtiment, via des librairies spécialisées.
 
L'incertitude sur l'estimation des besoins de chaleur des bâtiment dépend directement de la qualités des informations collectées. Une étude comparant simulation et mesures de consommation de chaleur a révélé des déviations de l'ordre de 20% ou moins lorsque des données sémantiques riches étaient collectées, et au-delà de 30% sinon.
 
Au delà du simple fait de modéliser l'état thermique existant des bâtiments, cette méthodologie permet aussi de prédire les économies d'énergie liées à des opération de rénovation à l'échelle urbaine, que ce soit à l'échelle du quartier, de la ville, voire de la région.

Prérequis : Maquette numérique de ville (LoD1 ou LoD2 généralement), fonction et âge de chaque bâtiment, opération de rénovation énergétique, bâtiments vacants.

Initiatives & liens

SIMSTADT, Plateforme de simulation énergétique urbaine

  • Quelques applications pour des quartiers de Karlsruhe, Ludwigsburg et Rotterdam, entre 200 et 1000 bâtiments.
  • Estimation des besoins de chaleur, émission CO2 et scénarios de rénovation de ~1000 bâtiments du quartier Bospolder de Rotterdam (Rapport), dans le cadre du projet Européen Music.
  • Contacts : Romain Nouvel, Volker Coors (HFT Stuttgart).

Plan Énergie Climat Territoire du Comté de Ludwigsburg

  • Klimaschutzkonzept (Plan Énergie Climat Territoire) des 32 communes du Comté de Ludwigsburg (500.000 habitants)
  • Partenaires : HFT Stuttgart, Drees & Sommer, Landkreis Ludwigsburg
  • Contacts : Volker Coors, Romain Nouvel (HFT Stuttgart).

"Citywide urban building energy model" de Boston

  • Estimation des demandes horaires de gaz et électricité de chacun des 100.000 bâtiments de la ville de Boston
  • Contacts : Christoph Reinhart, Carlos Cerezo (MIT).

Projet Sunshine

 

Tout est dans le (niveau de) détail

Imaginez que vous volez en montgolfière. Vous êtes à une altitude de 2000 mètres, un paysage immense s’étale sous vos yeux. En bas, vous apercevez de petites formes géométriques ainsi que de longues lignes correspondant à des champs et des routes. Puis vous descendez à 1000 mètres, et vous vous rendez compte que les routes ont aussi une largeur, et que des « points » se déplacent lentement dessus.

Vous descendez encore, maintenant à une altitute de 300 mètres, vous êtes juste au-dessus d’un carrefour, vous pouvez maintenant apercevoir les 2 voies de chaque routes, et puis la bande blanche des stops. Les points sont devenus des voitures distinctes, qui s’arrêtent pour se céder le passage.

Vues aériennes en montgolfière

Vues aériennes en montgolfière

A 50 mètres du sol, vous apercevez même par le toit vitré les deux occupants d’une de ces voitures. Vous avez cependant perdu la vue d’ensemble que vous aviez lorsque la montgolfière était plus haute.
Cette expérience illustre fidèlement le concept de Niveaux de détails (Levels of Detail en anglais, dont l’acronyme LoD est souvent utilisé), l’un des concepts fondamentaux des maquettes numériques de ville.

Les LoD sont utilisés pour définir les différentes représentations d’un objet du monde réel. Ils sont une sorte de curseur entre vue d’ensemble et focus détaillé.
Dans les quartiers existants, les LoD permettent d’adapter le modèle numérique à la disponibilité et résolution des données collectées. Il est par exemple impossible de modéliser la forme du toit d’un bâtiment si seul ses données cadastrales sont connues. Plusieurs LoDs peuvent coexister dans un même modèle numérique de ville, afin de représenter différents bâtiments modélisés avec diverses résolutions.
Le concept de LoD est aussi très utile pour les nouveaux projets urbains. Dans ce cas, l’altitude correspond aux différentes phases du développement du projet : cela commence avec un plan de masse du cabinet d’urbanistes définissant l’emprise au sol et des hauteurs moyennes des bâtiments), puis vient le conceptual design fixant la forme des bâtiments, et enfin le detailled design spécificant les différents éléments architecturaux et techniques ainsi que le plan intérieur.

Bâtiment 2 de HFT Stuttgart représenté en 4 niveaux de détail CityGML

Bâtiment 2 de HFT Stuttgart représenté en 4 niveaux de détail CityGML

Les Niveaux de détail sont utilisés et définis dans de nombreux standard de modélisation du bâtiment (IFC) et de la ville (Blom3D, Navtek), en fonction de diverses facteurs (géométrie, sémantique, texture, type d’objets). Dans l’open standard CityGML de maquette numérique urbaine, les Niveaux de détail sont au nombre de 5 (LoD0 au LoD4), définis principalement par la complexité de leur géométrie (détail du toit, des ouvertures, de l’intérieur) :

  • LoD0 inclus le terrain et l’emprise au sol des bâtiments (souvent appelé modèle 2,5 D)
  • LoD1 modélise les bâtiments comme des boites à carton, conséquence de l’extrusion de leur surface sur sol jusqu’à leur hauteur moyenne
  • LoD2 ajoute la structure du toit
  • LoD3 détaille la position des ouvertures (fenêtres et portes) sur les facades et toits et les éventuels éléments structurels et architecturaux extérieurs (balcon, pré-toit)
  • LoD4 introduit enfin la modélisation de l’intérieur du bâtiment (équivalent au BIM)

La texture des objets urbains est indépendante du LoD dans CityGML, même si elle prend son sens à partir du LoD2.

Le freeware Random3DCity dévelopé à Delft (Pays-bas) par mon ami croate Filip Biljecki permet de générer automatiquement des modèles de ville synthétiques mélant ces différents LoD en fonction de diffèrents critères (densité de construction etc.).

Software Random3Dcity, mêlant LoD1 à LoD3 - source - TU Delft

Software Random3Dcity, mêlant LoD1 à LoD3 – source – TU Delft

Il est intéressant de considérer ces Niveaux de détail en fonction de leur finalité, c’est-à-dire de leur potentiel d’application pour différentes analyses urbaines.

Une maquette numérique de ville LoD1 sera ainsi largement suffisant pour une cartographie des nuisances sonores, quand un LoD2, qui modélise la forme réelle des toits, sera nécessaire pour une étude du potentiel solaire et photovoltaïque. Des applications nécessitant la configuration intérieure des bâtiments (étude d’éclairage naturel, navigation intérieur etc.) feront eux appellent à un LoD4. Pour la modélisation des besoins de chaleur d’un bâtiment, un LoD1 offrira les informations minimales, cependant le choix d’un LoD supérieur (LoD2, voire LoD3 ou LoD4 pour une modélisation multi-zone) aura un impact sur la précision des résultats, affinant en particulier le calcul des gains solaires, le volume à chauffer et de la distribution des transferts thermiques. Ce gain de précision a été quantifié à 7% pour la ville Allemande de Ludwigsburg, avec des bâtiments singuliers où l’écart atteignait plus de 30% (Nouvel, 2016). A noter que la qualité des données de simulation, et donc la précision des résultats, ne dépend pas que du LoD, mais aussi de la qualité des données sémantiques.

La cohérence de ces Niveaux de détail a été remise en question ces dernières années. En effet, il est théoriquement possible par exemple de modéliser une bâtiment en LoD2 via 12 représentations différentes (Benner, 2013)! Ce concept emprunté à l’infographie a encore besoin de clarification, formalisation et d’amélioration pour les maquettes numériques 3d de ville. Dans son excellent mémoire de thèse, Filip Bilkecki a réalisé un état des lieux, et proposé de nouvelles formalisations de LoDs, basés sur une combinaison plus cohérentes de niveau de détail géométriques et topologiques.